L’an dernier, à la même époque, le secteur de l’automobile était en grande partie préoccupé par la possibilité d’une récession. Maintenant que ces craintes semblent avoir diminué, l’attention est portée sur la résilience. C’est exactement ce que le secteur a démontré ces trois dernières années, et c’est ce dont les détaillants auront encore besoin à l’approche de 2024.


Nous nous sommes récemment entretenus avec Erik Johnson, vice-président et économiste principal, Études économiques BMO, pour discuter des enjeux qui touchent le secteur de l’automobile, notamment la grève des travailleurs de l’automobile américains et les événements macroéconomiques. Voici un résumé de notre discussion.

Répercussions potentielles de la grève


Les consommateurs nord-américains ont été particulièrement résilients malgré des obstacles importants, comme l’inflation et la hausse des taux d’intérêt. Mais un autre écueil s’est récemment renforcé : la grève des membres du syndicat United Auto Workers (UAW). La grève cible actuellement des usines en particulier, mais après une semaine, elle est passée de trois sites à 41. Cela représente toujours moins de 13 % des 146 000 travailleurs du syndicat UAW employés par les trois grands constructeurs automobiles américains, mais M. Johnson a souligné que plus la grève se prolonge et prend de l’ampleur, plus les répercussions seront importantes d’un point de vue macroéconomique.


« De graves difficultés se feront sentir au niveau régional, en particulier dans le Midwest des États-Unis et en Ontario, où se trouvent la plupart de ces fabricants de véhicules et de pièces automobiles, a déclaré M. Johnson. Dans le contexte canadien, il n’y a pas grand-chose de plus qui pourrait être nécessaire pour faire basculer l’économie de l’Ontario et l’économie canadienne dans une phase un peu plus difficile. »


Au Canada, la ratification par le syndicat Unifor d’une entente avec Ford, qui couvre plus de 5 600 travailleurs, est une évolution positive qui, selon M. Johnson, laisse entrevoir la possibilité qu’une grève pourrait être évitée chez les travailleurs canadiens de l’automobile. « Cela exercera aussi un peu plus de pression sur le syndicat UAW pour qu’il parvienne à s’entendre un peu plus rapidement que si Unifor participait à la grève des deux côtés de la frontière », a déclaré M. Johnson.


Cependant, M. Johnson avertit que même si le Canada ne se joignait pas à l’action des travailleurs, l’industrie automobile du pays serait toujours touchée si la grève aux États-Unis s’étirait, à cause des interconnexions de production transfrontalières. Le président Joe Biden ayant exprimé son appui à la hausse salariale de 40 % proposée par le syndicat UAW, les risques d’une grève prolongée semblent plus élevés.


« S’il s’agit d’une grève très limitée, elle n’aura pas beaucoup d’incidence sur la disponibilité des véhicules, a-t-il dit. Mais si elle dure presque un mois – et encore plus si elle dure plus longtemps, c’est vraiment à ce moment-là que les stocks pourraient être réduits. Nous avons fait pas mal de progrès ces deux dernières années en ce qui concerne la reconstitution des stocks, mais ils sont toujours inférieurs à 50 % de ce qu’ils étaient avant la COVID-19. Si les trois grands constructeurs ne produisent pas ne serait-ce qu’un mois, des retombées se feront sentir et elles grugeront rapidement ces progrès. Nous assisterons à une pression beaucoup plus forte sur les prix des véhicules neufs, ce qui finira par nuire à la demande, compte tenu de la situation actuelle des taux d’intérêt et de l’abordabilité. »


M. Johnson a également souligné que les chocs potentiels découlant de la grève ne seront pas uniformes dans les différentes marques automobiles. « Certains constructeurs, comme Stellantis, disposent de plus de stocks chez les concessionnaires que d’autres marques, de sorte qu’ils sont plus en mesure d’absorber certains de ces chocs que les producteurs qui en ont moins, comme Toyota. »

Inflation


M. Johnson a souligné que les prévisions de BMO selon lesquelles l’inflation s’améliorerait en 2023 se sont largement concrétisées. Nous sommes actuellement dans ce qu’il a appelé « la dernière ligne droite » de la lutte contre l’inflation, mais ce sera probablement aussi la phase la plus difficile.


« L’inflation de base, qui exclut les prix volatils des aliments et de l’énergie, oscille autour de 4 %, et avant de pouvoir nous attendre à des baisses de taux d’intérêt, les banques centrales des deux pays aimeraient voir des progrès à cet égard dans les prochains mois », a déclaré M. Johnson. En effet, le président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, a récemment laissé entendre que les taux d’intérêt resteraient plus élevés pendant encore longtemps afin de maîtriser l’inflation de base.


« Nous ne prévoyons certainement pas de réductions majeures des taux en 2024, environ 50 points de base dans les deux pays, a déclaré M. Johnson. Cette prévision pourrait changer selon l’évolution de l’inflation dans les prochains mois. »


La persistance des taux d’intérêt élevés pourrait avoir une grande incidence sur les concessionnaires automobiles, tant sur le plan des pratiques commerciales de base, comme le financement des stocks, que sur celui des dépenses de consommation. « Plus les taux resteront élevés, plus l’économie subira de pressions », a déclaré M. Johnson.

Perspectives du secteur


M. Johnson a souligné que les volumes de véhicules en 2023 devraient être meilleurs que l’an dernier, le marché canadien atteignant environ 1,7 million d’unités et le marché américain environ 15,5 millions. Mais il s’attend à ce que ces tendances commencent à diverger en 2024, la forte croissance de la population canadienne contribuant à stimuler les ventes de véhicules à l’avenir.


« Aux États-Unis, nous avons observé des pressions : la croissance de la population est plus limitée et certains effets décalés des taux d’intérêt maintiendront les niveaux à environ 15 millions l’année prochaine », a-t-il déclaré.


Il s’attend également à ce que les tensions entre l’offre et la demande continuent. La demande refoulée reste importante, mais la production n’a toujours pas atteint de manière régulière les niveaux d’avant la pandémie.


« De mars à août de cette année, les niveaux de production sont réellement revenus pour la première fois à ce qu’ils étaient en 2019, a déclaré M. Johnson. Ils étaient inférieurs d’un peu moins de 3 % par rapport aux niveaux de 2019 à la même période. Mais nous aurons besoin de plus d’une année de ce type de production pour commencer à nous attaquer à certains des stocks totaux plus faibles que nous observons aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’un projet d’un mois ou d’un trimestre : il s’agit d’un projet sur plusieurs années, et cela compte beaucoup lorsque nous réfléchissons à ce qui arrivera aux prix et aux marges dans le secteur. »


Une tendance à la hausse est celle des ventes de véhicules électriques (qui englobent les véhicules électriques à batterie et les véhicules hybrides rechargeables); elles devraient franchir la barre du million d’unités cette année aux États-Unis pour la première fois. La loi américaine sur la réduction de l’inflation et les mesures incitatives semblables des gouvernements fédéraux et provinciaux du Canada devraient contribuer à stimuler la demande de véhicules électriques. Cependant, M. Johnson avertit que le marché des véhicules électriques n’est pas monolithique.


« La demande sera très différente dans les milieux urbains par rapport aux milieux ruraux, a-t-il dit. Parce que lorsque vous parcourez de plus longues distances dans des secteurs plus ruraux du réseau routier, votre accès aux infrastructures de recharge est beaucoup plus limité. Je crois qu’il faut surveiller ce qui se passera dans des marchés comme l’Ontario ou les grands États américains comme New York, le Texas et la Floride. Selon l’endroit où vous exercez vos activités, vous verrez des débits et des taux de demande très différents pour ces produits. »